Le téléphone sonne. Encore.

Il n’est pas encore midi et pourtant Collab m’a déjà appelé sept fois.

« – T’as pu avancer sur la recherche?

– Pas beaucoup plus qu’il y a trois minutes…

– Ok bah quand t’as fini préviens moi. »

Je ne comprendrai jamais la manière de travailler de Collab. Désorganisé, distrait, il est à l’opposé de tous les archétypes de collabs des gros cabs. Ca pourrait le rendre attachant, s’il n’était pas odieux.

« T’as trouvé? »

Collab a débarqué dans mon bureau. Apparemment, il doit penser que m’empêcher de chercher me fera trouver plus vite.

Il se rapproche de mon ordinateur, et tel un bon Collab, il scrute tous les papiers qui se trouvent sur mon bureau. A la recherche de la parfaite vanne.

Et il l’a trouvé.

Une malheureuse feuille de route de dossier, un tableau excel avec pour intitulé « Feuille de closing »…

« Alors… T’aimes ça les closings pas vrai…? »

Je lève les yeux vers lui. Depuis ma position assise, moi, pauvre petite femme, bébé mais pas avocat, je me demande comment lui, le grand, le tout-puissant, le diplômé, se permet de me regarder de si haut alors qu’il n’aurait pas pu tomber plus bas.

En même temps, il faut le comprendre Collab.

Il reste au cab toutes les nuits jusqu’à 5h du matin, n’a pas eu un week-end à lui depuis des mois alors c’est sur que niveau rencontres, ça doit pas être facile tous les jours.

J’ai toujours cru aux rencontres. L’amour, c’est une autre histoire. Mais les rencontres ça ne trompe personne. C’est la théorie de la Pastèque.

Il y a un an environ, j’avais quitté Paris quelques jours pour rejoindre ma soeur. Je me revois préparer à déjeuner pour dix personnes dans cette cuisine sans personne pour m’aider. Quelqu’un avait frappé à la porte, ce n’est pas moi qui ai ouvert. J’étais de mauvaise humeur. « Je t’ai apporté le dessert » avait dit l’inconnu.

« Hein t’aimes ça… ».

Collab m’extirpe de ma torpeur en décidant de remuer le couteau dans la plaie.

Mais il est un peu benêt Collab. Il suffit de lui taper sur la tête un coup et il se raisonne.

« T’es sérieux là? »

Pendant qu’il bégaye une excuse minable (« gnn non mais gnn c’est vrai gnnn c’est bien les closings gnnn »), j’essaye de me souvenir de ma rencontre avec le Roi.

Je me rends compte que le Roi, ce n’est pas une rencontre.

Du coup je me demande si c’est pour ça que ça marche pas.

Le Roi a toujours été là, il n’y a jamais eu de premier regard. Pourtant un premier regard ça en dit souvent long.

« T’es bien gentil mais tu vas l’éplucher toi ta pastèque! » C’en était trop, j’avais déjà passé la journée à faire à manger pour ces inconnus, alors s’il prétend vouloir rendre service, c’est certainement pas en apportant un fruit qui fait mon poids pour me laisser le dépecer.

J’étais dans un coin de la cuisine, je le laisse trouver ses repères dans l’autre. On a commencé à parler, il a commencé à me faire rire et quand j’ai pensé à le regarder, ça a basculé.

C’était Pastèque. C’était il y a un an. C’était un regard.

Un regard qui a changé beaucoup de choses.

Un regard qui m’a pris aux tripes pour remonter jusque dans la gorge. Un regard qui m’a permis de croire, de croire aux rencontres, de croire à ce sentiment pour lequel les gens parlent, chantent, écrivent depuis tant d’années.

Un regard éphémère. Un regard que j’ai abandonné 24 heures plus tard. Un regard qui m’a détruite quand j’ai cru par la suite le reconnaître dans d’autres yeux.

Je regarde machinalement mon téléphone.

Pas de message du Roi, évidemment. Je décide de profiter que Collab soit parti chercher un papier dans son bureau pour écrire à ma soeur.

« Dis, Pastèque ne devait pas venir à Paris? »

Collab est revenu, il a l’air encore plus perdu que d’habitude « gnnn donc ça ça va être très très très délicat gnnn ».

Je ne l’écoute pas, ma soeur m’a répondu.

« Si, il est arrivé hier. »

Je me sens vivre.

« Qu’est-ce t’as? » Collab me regarde bêtement.

« Je crois que tu pourrais pas comprendre ».

#PastequeIsInTown