Objet : Résiliation du Bail
J’ai la bouche sèche.
Je reprends une gorgée d’Ice Tea et je continue à descendre l’écran à l’aide de ma souris pour m’assurer qu’aucune faute ne se serait glissée dans mon courrier.
Décisif courrier.
« Conformément à l’article blabla de mon contrat de bail, je vous informe par les présentes blablabla, point de départ de mon préavis de trois mois, blabla, bien à vous ».
Pas de faute.
Print.
Je vais à l’imprimante. Je croise Patrick.
Quand je dis Patrick, je veux dire son enveloppe corporelle, pas son regard.
Il faut dire qu’il n’ose plus vraiment me regarder depuis que je lui ai fait remarquer qu’il était inapproprié d’avoir osé nous appeler « mignonnes » avec Costa.
Je récupère ma lettre en le regardant s’éloigner.
De retour dans le Carton, j’attrape un stylo.
Je sais que je fais le bon choix, la démarche de Patrick vient tout juste de me le rappeler.
N’empêche, ça reste difficile.
Il y a quelques semaines, j’ai pris une décision.
À la rentrée, je pars.
Forcément, tout est difficile depuis.
J’ai décliné l’offre de collab de la VAM.
Ça a été la véritable mise en application pratique de ma conviction selon laquelle l’argent ne fait pas le bonheur.
Du coup, à cet instant précis, on y est.
Conséquence directe.
Je rends mon appartement.
Et ça, honnêtement, ça fait plus mal que ce que j’imaginais.
« J’ai trouvé l’endroit idéal. En plein Paris. Tout près du Panthéon ! »
C’était il y a un an seulement. Même pas.
Je me revois arpenter les allées du géant suédois avec ma sœur comme parfaite conseillère, à la recherche du rideau de douche qui se marierait parfaitement avec mon nouveau porte-coton.
Chaque détail était réfléchi pour faire honneur à chaque centime longtemps économisé au creux de cette tirelire enfin cassée.
« Cet appartement, je vais y rester des années, j’en suis certaine ! »
J’appose ma signature sur la lettre.
J’ai un pincement au cœur, une boule au ventre, et en même temps, un sentiment d’allégresse sans pareil.
Je ne sais plus quoi ressentir, ni dans quel ordre.
D’un côté, les prochains mois sont ceux qui me séparent de ma libération du Cab et pour laquelle je compte les jours, parfois mêmes les heures. De l’autre, ces prochains mois se matérialisent à présent comme les derniers avant la fin de beaucoup d’autres choses. Tout le reste.
Août 2014, ma crémaillère.
Je revois ma Chat passer la porte armée d’un petit pot de miel destiner à « apporter de la douceur » à mon emménagement.
J’entends encore ma Partenaire de Toujours parsemer mon appartement de détails à notre image.
Je me souviens de tous ces visages, improbables puisque réunis, venus échanger des rires le temps d’une soirée.
À droite, celle qui m’illuminait déjà par sa présence alors qu’elle n’était pas encore tout à fait la Fée. À gauche, mon Éos dont la présence dans ma vie faisait déjà d’elle la déesse de mes aurores.
J’essaye de continuer à me souvenir.
Étonnement, ce sont ceux dont je suis le plus proche maintenant qui rayonnent le plus dans ma mémoire.
Il y avait qui au milieu déjà ?
Les autres. Les ombres.
Ceux dont le souvenir est brumeux à tel point que je me demande aujourd’hui s’il n’est pas mensonger.
Je me souviens soudain que c’était pourtant eux alors les plus présents dans ma vie.
Et évidemment, parmi eux, il y a lui.
Lui dont je n’aurais jamais pensé qu’il pourrait disparaitre dans la brume.
Celui qui, malgré l’obstination des années à vouloir faire défiler des changements de décors, a toujours su imposer son étincelle.
Et quelle étincelle.
Celle qui se met à scintiller à chaque ombre d’une flamme naissante entre l’un de nous, et un autre.
Étincelle ravivée par lui, brûlant de me voir fondre dans ses yeux comme pour prouver que nous n’existons à travers aucun autre miroir.
Étincelle laissant vite place à une flamme diabolique, avec laquelle il a fallu apprendre à danser sans jamais, au grand jamais, se laisser embraser.
Étincelle dont je finissais toujours par voler trop près, réclamant par un geste ou une parole un peu plus que rien du tout, pour finalement me bruler les ailes et revenir à mon statut de bûche, le cœur en cendres.
Pourtant, aussi répétitif que soit le scénario et quelque ait pu être l’incidence des années sur nos vies, il était toujours là.
Mon Burning Man.
Pourtant aujourd’hui, au milieu de ces rires qui résonnent dans mon souvenir, je n’entends plus le sien.
Même plus sure de l’avoir connu.
Finalement, mon Burning Man est clair comme de l’eau de roche dans cet appartement qui ne reflète pas nos moments de vie passés ensemble. Je n’ai même aucune image à raccrocher à notre histoire.
Je comprends alors pourquoi la vie fait défiler ses décors. Qu’importe le décor. Pourvu qu’on ait le souvenir.
Un moment de vie.
La lettre est postée.
Pas de retour en arrière.
Dans trois mois, je retrouverais le décor de mon domicile familial, le temps de boucler ma valise.
Je renonce à une autonomie tant attendue et tant chérie pour m’élever vers une autre forme d’indépendance.
Une nouvelle ère.

