Mon Empire contre ses Dragibus

Il est temps pour moi de vous présenter celle dont j’ose à peine prononcer le surnom.

L’Impératrice de Saba.

Le seul personnage du Cab dont il est difficile de parler tant sa complexité me laisse perplexe.

Ma difficulté à la cerner vient surtout de ma difficulté à appréhender tout son pouvoir.

Pas sûre d’avoir compris les règles.

Pourtant, c’est important les règles, pour survivre.

Dans l’Ancien Cab, les règles étaient simples.

1. Bosser.

2. Bosser Beaucoup.

Le travail était intéressant, le stagiaire était impliqué et formé.

Peu importe les horaires, le stress, la vitesse, chaque minute écoulée procurait une indescriptible satisfaction. La consécration. La fameuse « mise en application pratique de mes connaissances théoriques » dont j’ai tant martelé mes lettres de motivation sans encore en saisir la portée.

Mais attention. Âmes sensibles, s’abstenir.

Car pour le stagiaire plongé dans les méandres de pareils délires anglo-saxons, il est nécessaire de savoir à quoi s’attendre.

Comprendre l’équipe qui fait tourner la machine.

Avocats. Jeunes. Beaux. Brillants.

Psychopathes et bipolaires.

Pour qui le rôle du stagiaire oscille entre celui de meilleurami-slash-collègue-slash-égal-slash-pair à celui de paillasson-slash-brosseàchiottes-slash-divan-de-psychiatrie.

Mais au moins, les règles sont posées.

Les connaitre permet de les maitriser et de savoir à quel moment user d’hypocrisie, quand savoir s’imposer ou au contraire prétendre accepter son sort de décrotte-pieds pour alors être certifié apte à jouer dans la cour des grands.

Rien n’est jamais facile.

Nombreux sont les jours où j’aurais voulu hurler à ces âmes de se regarder dans un miroir, d’apprécier la valeur de leur contribution à ce monde qui ne tourne pas rond au lieu de se prendre en permanence pour une armée de semi-seigneurs, cesser de jouir sans limite de ce pouvoir on ne peut plus relatif qu’est celui de faire de l’argent. Pour les autres.

Mais bon, on se ressaisit.

Car ainsi qu’il a été dit : travail intéressant, stagiaire impliqué, formé.

***

Tandis qu’au Cab…

Oh au Cab, il n’y a pas de règles !

J’ai bien compris que le stagiaire est un sous homme et que la stagiaire est un élément décoratif appréciable.

On ne reviendra pas sur l’Avocat-Vampire, Patrick ou Collab Viré qui me semblent être des produits génétiquement modifiés.

Personnages hybrides.

Tantôt auteurs de perles juridiques incontournables (« 1382 du Code civil? Oh merde, je suis passé à côté de cet article »), tantôt incarnation des pires stéréotypes misogynes (« 25 ans? Vous vous faites vieille ma cocotte ! Mais bon on vous en veut pas, z’êtes mignonne avec vos p’tits dossiers »).

Pas certaine de comprendre comment ils en sont arrivés là.

Les règles qui font tourner cette machine là m’échappent.

C’est là qu’elle entre en scène.

L’Impératrice.

Une femme (qui l’eût cru!) avoisinant la quarantaine dans un corps d’adolescente.

Brillante ? Incapable de le dire.

Rarement au Cab, souvent sur un nouveau continent à gérer seule les dossiers les plus rentables du Cab et ça, c’est du sérieux. Mais il faut bien comprendre l’effet pervers d’un tel rôle…

Je n’ai jamais vu ça auparavant, alors je m’en tiens à ce que je connais pour le décrire.

Avril 2013

Ah le Master 1 !

L’année de tous les challenges !

Il a fallu survivre à la pénibilité des matières, à la nécessité d’être élue stagiaire-of-a-life-time dans le coeur de JJ, alors même que cette année là était celle où j’avais décidé de m’investir au sein de ma troupe de théâtre.

Venu le temps des révisions, je me souviens d’une mise en immersion totale, pendant plusieurs semaines, avec comme seule compagnonne de route ma Chat.

Je pense que sans ma Chat, j’aurais fait un burn out.

Pendant la Période de Révision, ma Chat et moi nous levions ensemble, préparions nos thés mutuels et nous abandonnions dans les bras de nos fiches de révisions. Tantôt séparément, tantôt en interaction.

Nous récitions. Récitions nos plans, comptions nos conditions, mémorisions les numéros d’articles et les dates sous les numéros d’articles.

Je ne sais pas si j’aurais pu survivre à la tentation de me laisser mourir noyée dans mes larmes à la découverte de mon cours d’entreprises en difficulté s’il en avait été autrement.

Aurais-je seulement survécu au premier partiel?

Une petite matière, découverte trop tard.

Levées bien avant le soleil, ma Chat et moi tentons de nous raccrocher aux branches d’un « dernier tour de cours ».

J’ai du mal à respirer et n’arrive à entendre d’autres voix que celle qui, avant les partiels, résonne dans mon tête en vu de me convaincre que :

– non, je n’ai pas tout vu ;

– oui, ça va tomber sur mes impasses ; et

– oui, de toutes les façons, j’ai tout oublié.

Ma Chat et moi nous tenons à présent au pied de la plus haute tour de la redoutable Maison des Examens à Arcueil.

Le hall de la tour ressemble à un garage désaffecté aux odeurs d’urine ne laissant pas indifférents.

Ils sont tous là. Les Etudiants en Droit.

Tétanisés.

Entassés sur le sol des marches de ces escaliers en colimaçon qui n’en finissent plus de monter.

J’ai l’impression d’être Harry Potter pénétrant dans la caverne de Tom Jedusor à la recherche d’un Horcruxe. Je m’accroche au bras de ma Chat comme Harry à celui de Dumbledore.

« Je m’arrête là moi », ma Chat compose au cinquième étage. Il m’en reste trois à gravir seule.

« Ne les laisse pas t’atteindre ».

Eux, l’armée d’Inferi.

Je continue mon ascension en essayant de ne croiser aucun de leur regard, de n’entendre aucun de leur mot.

Je fuis en toute indélicatesse les sourires discrets de mes camarades de TD avant qu’ils ne s’embarrassent d’un « ça va? » auquel je ne saurais répondre.

Je détourne le regard lorsque je croise celui de celle qui, en larmes, à genoux contre le sol, sème par des gestes secoués de sanglots des derniers post-it indécis sur son Dalloz, tel le Petit Poucet dans un dernier instinct de survie.

J’inspire profondément en voyant arriver le jemenfoutiste, celui dont l’odeur de tabac froid à 7h du matin dont la musique assourdissante s’échappant de ses écouteurs me donnent envie de l’assommer et de lui faire manger mon Terré.

Je ne pense plus à la fin, seulement au début. Vivement que ça commence.

C’est précisément cet instant qui me revient aujourd’hui.

Je m’interroge : et si toutes ces formes de stress avaient été rassemblées dans une seule enveloppe corporelle?

Il en ressortirait un monstre.

Incontestablement.

L’Impératrice, c’est exactement ça.

En pire.

Son enveloppe corporelle à elle ne se contente pas d’endosser le stress de tous ceux qui l’entourent. Elle absorbe et multiplie également leur mépris, leur égo, leur psychédélie, leur machiavélisme et leur perversion.

Quand l’Impératrice traverse le couloir parée de ses plus beaux atours et de son sourire le plus mielleux, nul n’ose la regarder de peur d’y perdre ses yeux.

Un rictus accompagne chacun de ses regards comme pour rappeler sa supériorité déclarée.

A l’image de Miranda Priestly, l’Impératrice s’amuse à faire relever d’impossibles défis aux stagiaires qui l’entourent pour ensuite se délecter de leur médiocrité.

Vous avez dit défis ?

Oui, mais personne n’a dit juridique.

Mail : « Cherche le numéro d’un confrère avec qui j’ai bossé il y a quelques années. En Asie. Je crois. »

Mail : « Arrête tout ce que es en train de faire. J’ai besoin que tu viennes dégrafer et ré-agrafer tous les documents sur mon bureau. J’aime pas quand l’agrafe est à l’horizontal. »

Puis il y eu la goutte d’eau. Celle de trop.

Mail : « J’ai envie de Dragibus. Mais enlève les jaunes. »

***

Je repense à l’armée d’Inferi. Se débattant pour survivre à travers les années.

Je repense à ma Chat. Aux larmes au goût de thé.

***

J’ai acheté les Dragibus.

J’ai laissé que les jaunes.

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