Je vaux la peine pour ce que je suis.
C’est décidé, je reprends ma vie en main.
Terminé les jérémiades sur la lenteur de Collab et les réflexions sur les Pastèques pourries. Cette semaine, c’est dit, je me re-sai-sis.
Etape 1 : Faire les Courses
Déjà 9 mois dans mon appartement et je n’ai jamais acheté plus d’un sachet de café et un paquet de céréales à la fois. C’est parti, un esprit sain, dans un corps sain ! Des oranges pour les vitamines, des oeufs pour les protéines.
Je suis sur la bonne voie.
Etape 2 : Let’s Go on a Date
Voilà deux mois que La Mèche me courtise.
Avant, je travaillais avec La Mèche, et depuis mon départ, il propose un verre quasiment tous les jours. Alors, un verre en tout bien tout honneur ça se fait non?
Etape 3 : Prendre sur Soi
Au diable Patrick ! Qu’importe ses élucubrations lubriques sur la profession ! Je me recentre ! Objectif : travailler, et travailler bien.
***
Je vous jure, j’ai essayé.
***
Mardi, 22h
« Donc comment ça se passe dans ton nouveau cab? »
La Mèche est sympa. Moi qui craignais de devoir repousser d’entrée de jeu des avances inappropriées, il se tient plutôt bien. C’est même assez drôle de l’écouter pavaner sur sa vie en jonglant avec ses trois téléphones.
« – Je vais vous reprendre un chtwwwoobééwwyyy bbbeeeatttch s’il vous plaît.
– Un quoi?
– Eh bien… Un chtwwwoobééwwyyy bbbeeeatttch.
– Ah. Un stra-bé-ry beach. »
Petit gloussement incontrôlable de ma part.
« Et pour madame? »
J’avale de travers. A 20 euros le cocktail, j’ai pas l’intention d’en prendre un deuxième, sinon j’aurais cassé mon PEL avant de venir…
« La même chose pour madame. »
La Mèche a parlé. Pour moi.
Je le regarde – clin d’oeil « C’est moi qui invite. »
Grand prince.
Jeudi, 19h
J’ai du mal à respirer. 40 de fièvre. Depuis le verre avec La Mèche. La faute à la vue sur la tour Eiffel.
Je tourne au ralenti.
Inbox : « Quand t’as fini, imprime moi le doc. Il me le faut ASAP. »
J’ai l’impression que les touches du clavier sont anormalement difficiles à enfoncer. J’ai mal au crâne, la nausée aussi.
Je lève la tête et vois Patrick debout devant la porte transparente du Carton.
Souriant. Anormalement souriant.
Je commence sérieusement à me demander de quelle pathologie est atteint ce garçon.
La semaine dernière, il s’est trouvé un nouveau jeu : mettre des grands coups dans le mur du Carton à chacun de ses passages dans le couloir. Un peu comme un dresseur qui met des coups de bâtons sur les cages des animaux sauvages.
Un jour, j’ai craqué :
« – C’est toi qui frappes comme ça?
– Ouais pourquoi? Tu vas me faire quoi? »
Surréaliste. Tellement surréaliste que j’ai ri aux larmes. Et ça, Patrick, le rire, il aime pas.
Alors forcément, la fièvre il préfère!
Reply : « Je fais au plus vite. »
Mardi, 23h30
Je m’aventure à l’intérieur du bar à la recherche du pipi-room.
Musique forte, obscurité quasi-totale, je distingue vaguement des tables autour desquelles des quinquagénaires trinquent avec des filles de mon âge.
J’arrive à destination.
Il y a un vigile. Devant les toilettes.
Devant moi deux personnes attendent.
Une blonde aux courbes parfaites portant un sac représentant 3 ans de loyers mensuels et un homme. Court sur pattes et dégageant une odeur de tabac froid et de transpiration alcoolisée.
« – Ton visage m’est graaaaave familier, dit la blonde.
– Ouaaaais, c’est normal, suis acteur. »
Je regarde mieux. Connais pas.
La place se libère et la blonde nous quitte donc pour prendre place sur ce que j’imagine être un trône en or, rapport au vigile.
Là, j’ai du louper quelque chose car Court Sur Pattes et le vigile étaient en train de rire aux éclats en se tapant dans la main.
Je me dis que c’est sûrement parce que la blonde est bonne. Il en faut peu pour faire rire un homme.
Puis, c’est arrivé.
Ca arrive toujours quand on s’y attend pas.
Et là je dois dire, que très clairement, je ne m’y attendais pas.
Pas maintenant, pas alors que j’attendais sagement mon tour pour évacuer l’équivalent de 40 euros de cocktails dans des toilettes en or protégés par un vigile et alors que La Mèche m’attendait sagement en travaillant sa prononciation du mot strawberry.
Et pourtant si.
Court sur Pattes s’est tourné vers moi.
Ses yeux vitreux m’ont fixés. Il s’est approché, à deux centimètres de mon visage, m’a soufflé un résidu de liqueur et a ouvert son coeur.
« Toi, tu m’as l’air d’être bieeeeen relouuu. Une vraaaaie salooope relou. »
Jeudi, 22h
Print.
J’y suis presque. La bouillote tant rêvée commence à se dessiner avec un peu plus de netteté dans mon esprit. J’ai fini, je me le promets. Dans 30 minutes max, je suis dans les bras de Morphée.
Je récupère le document pour aller le remettre à qui de droit.
Je marche dans le couloir. Titube. Me redresse et m’encourage. « Vas-y ma belle tu-y-es-presque ».
Et là, c’est arrivé.
Ca arrive toujours quand on s’y attend pas…
Patrick est derrière moi – comme toujours finalement – et juste avant de prendre un virage, lui aussi m’a ouvert son coeur. Par le même mot en S.
Samedi, 00h30
La fièvre est tombée.
Autour de la table, que des visages amicaux, sourires aux lèvres et bière à leur main.
« On monte sur le ring?!! »
Déguisée en sumo sur le ring d’un bar parisien, riant aux éclats avec les Potes, mon regard a croisé mon reflet et j’ai bien vu que j’étais ridicule, absurde.
Non, ma bière n’avait pas coûté le prix de mon abonnement freebox. Oui, j’avais osé refusé de retourner dans le Carton ce week-end car oui, j’avais osé décider de vivre un peu.
Alors, ridiculeusement heureuse, debout sur le ring, je pense à Patrick, sans doute au Cab en train de compter ses doigts et à Court sur Pattes quelque part en train de parler de sa carrière d’acteur à une blonde devant d’autres toilettes en or et je ne peux m’empêcher de me demander…
Qui est la S maintenant?

